Par Ekaitz Agirregoitia Marcos
Ekaitz Agirregoitia Marcos est diplômé en Biologie médicale de l'université Complutense de Madrid en 2003 et en 2008, il obtient son doctorat en Biologie de l'université du Pays basque (UPV/EHU). Depuis 2012, il est professeur agrégé au département de Physiologie de la faculté de Médecine et d'Odontologie de l'UPV/EHU. Son principal domaine de recherche est le rôle du système endocannabinoïde dans la physiologie de la reproduction. Il est membre de l'Observatoire Espagnol du Cannabis Médicinal et travaille avec l'association des consommateurs thérapeutiques Dosemociones (Madrid) dans le groupe « Patients atteints de maladies inflammatoires des intestins, consommateurs de cannabis à des fins médicales ».
L'Académie américaine des Sciences (NAS) a publié un rapport sur le cannabis médical intitulé The Health Effects of Cannabis and Cannabinoids: The Current State of Evidence and Recommendations for Research (2017). Même si ce rapport n'est pas encore paru sous forme de livre, sa prépublication est disponible sur le site internet de l'Académie depuis le 12 janvier 2017.
La NAS a été créée en 1863 comme institution privée non-gouvernementale pour conseiller la nation américaine sur des sujets en rapport avec les sciences et la technologie. Ses études ont malgré tous des répercussions mondiales.
En mars 2016, la division Santé et Médecine (anciennement Institut de Médecine ou IOM) de l'Académie américaine des Sciences, Ingénieries et Médecine a réuni un comité d'experts pour établir un rapport détaillé de la littérature relative aux conséquences sur la santé de la consommation de cannabis et/ou de ses dérivés. Le rapport a été élaboré d'après les études publiées depuis l'édition du précédent rapport de l'IOM en 1999 intitulé Marijuana and Medicine: Assessing the Science Base. Il remplaçait lui-même le premier rapport de l'IOM de 1982 Marijuana and Health. Le rapport de 2017 a été compilé par 16 experts des domaines suivants : cannabis, addiction, oncologie, cardiologie, neurodéveloppement, maladies respiratoires, santé des enfants et des adolescents, immunologie, toxicologie, recherches précliniques, épidémiologie, examen systématique, et santé publique. Des organisations fédérales américaines, étatiques, philanthropiques et non-gouvernementales l'ont financé.
Etant donné la quantité phénoménale de littérature scientifique sur le cannabis générée depuis le précédent rapport de 1999 et la contrainte de temps, le comité a accordé la priorité : aux examens systématiques récemment publiés (depuis 2011), aux recherches fondamentales de grande qualité, et à 11 problèmes de santé clés (effets thérapeutiques, cancer, risques cardiométaboliques, maladies respiratoires, immunité, blessures et mort, exposition prénatale, périnatale et postnatale au cannabis, effets psychosociaux, santé mentale, problème de consommation de cannabis, et abus de cannabis et autres substances.) Bien qu'il ait passé en revue plus de 10 700 publications, le comité reconnaît qu'il pourrait y avoir des recherches très intéressantes non représentées dans le rapport. Cela concerne celles dont le sujet ne serait pas directement lié aux questions de santé priorisées par le comité.
Le rapport
Après évaluation de toutes les études sélectionnées, le rapport établit près de 100 conclusions sur la consommation de cannabis ou de cannabinoïdes et leurs effets sur la santé. Lors de la rédaction du rapport, le comité a développé un langage standard pour catégoriser la valeur de la preuve selon l'efficacité, ou non, du cannabis ou des cannabinoïdes sur différents troubles. Il a également regroupé des preuves sur les conséquences néfastes possibles de la consommation de cannabis pour la santé. Les preuves sont classées comme suit : probantes, substantielles, modérées, limitées et insuffisantes. Afin d'englober les preuves de chaque catégorie, le rapport a pris en compte la qualité des études soutenant chaque conclusion, les contradictions de résultats pour une même recherche, et toute incertitude générée par les résultats. La catégorie « preuves insuffisantes » inclue aussi les maladies pour lesquelles il n'existe aucune recherche publiée.
Les conclusions
1. Effets thérapeutiques du cannabis
Après examen des études sur les effets thérapeutiques du cannabis, le rapport conclut qu'il existe des preuves probantes ou substantielles que les cannabinoïdes sont efficaces : dans le traitement de la douleur chronique chez l'adulte, comme antiémétiques contre les nausées et vomissements provoqués par la chimiothérapie, et dans l'amélioration des symptômes de spasticité de la sclérose en plaques cités par les patients. Il existe également des preuves, bien que modérées, sur leur efficacité dans l'amélioration du sommeil à court terme chez des patients souffrant de troubles du sommeil associés au syndrome d'apnée obstructive du sommeil, de fibromyalgie, de douleurs chroniques et de sclérose en plaques. Des preuves limitées ont été trouvées par rapport à l'augmentation de l'appétit chez les patients atteints de VIH ou à l'amélioration, entre autres, des symptômes de spasticité de la sclérose en plaques évalués par un clinicien. Enfin, le rapport conclut qu'il n'y a aucune preuve pour soutenir ou rejeter l'utilisation de cannabinoïdes dans de nombreuses autres circonstances comme le cancer, l'épilepsie, les symptômes du syndrome du côlon irritable ou pour atteindre l'abstinence de substances addictives.
2. Effets du cannabis sur l'apparition de pathologies
Par rapport au cancer, il n'existe aucune preuve (ou insuffisantes) liant la consommation de cannabis à l'apparition de n'importe quel type de cancer ; en effet, il y a des preuves modérées qui suggèrent l'absence de relation entre la consommation de cannabis et le cancer de la gorge ou du cou. Quant aux possibles risques cardiométaboliques, les preuves sont limitées. Tout comme les preuves d'une relation entre la "fumette" du cannabis par des individus en bonne santé et une diminution des taux de cytokines inflammatoires ; au contraire, on ne sait pas ce qui se passe chez les patients atteints de maladies inflammatoires.
Il y a, cependant, des preuves substantielles entre la consommation chronique de cannabis et l'apparition d'épisodes bronchitiques ou l'aggravation de symptômes respiratoires. Toutefois, il y a des preuves modérées prouvant que l'arrêt du cannabis améliore lesdits symptômes respiratoires. Modérées également sur l'amélioration de la dynamique des voies respiratoires conjugués à une consommation aigüe.
Le rapport établit que des preuves substantielles existent quant à une relation entre la consommation de cannabis par les femmes enceintes et un poids de naissance de leur enfant plus faible. Il y a également des preuves, dans ce cas-ci limitées, d'une association entre la consommation de cannabis et des complications lors de la grossesse. Pourtant, il n'y a aucune preuve associant l'usage du cannabis avec des problèmes de santé ultérieurs chez leurs enfants.
En ce qui concerne la santé mentale, il existe des preuves modérées d'un lien entre la consommation aigüe de cannabis et des déficiences de l'apprentissage, de la mémoire et de l'attention. Les auteurs ont effectivement trouvé des preuves substantielles d'une connexion entre l'utilisation de cannabis et le développement de la schizophrénie et d'autres troubles psychotiques, avec un risque accru pour les consommateurs réguliers. Ils ont également trouvé des preuves modérées que le cannabis pourrait augmenter l'incidence des troubles mentaux chez les utilisateurs chroniques. Toutefois, il n'existe aucune référence quant au rôle joué par les prédispositions génétiques ou environnementales des consommateurs chroniques en lien avec l'apparition desdits troubles mentaux.
Même s'il y a des preuves substantielles que le tabagisme et l'initiation précoce au cannabis soient des facteurs de risque pour le développement de futurs problèmes liés à la consommation de cannabis, des preuves modérées prouvent que la présence de problèmes mentaux, comme l'anxiété ou les troubles bipolaires, n'est pas un facteur de risque aggravant pour des problèmes de consommation de cannabis. En effet, il existe des preuves substantielles que le trouble hyperactif avec déficit de l'attention à l'adolescence n'est pas un facteur de risque de développement de problèmes de consommation de cannabis.
Enfin, il est intéressant de noter que le rapport ne démontre aucune preuve de relation entre la consommation de cannabis et la mort, que ce soit lors d'accidents de travail ou par overdose. D'un autre côté, les auteurs ont trouvé des preuves modérées de développement d'addiction à des substances comme l'alcool, le tabac et autres médicaments à cause de la consommation de cannabis ; et vice versa.
3. Défis et obstacles à conduire des recherches sur les cannabinoïdes
Le cannabis est listé par la DEA (Drug Enforcement Administration, administration américaine chargée de lutter contre le trafic et la distribution de drogues) et la FDA (Food and Drug Administration, administration américaine des denrées alimentaires et des médicaments) comme substance contrôlée au Tableau I. C'est-à-dire qu'il s'agit d'une substance avec un fort risque de dépendance et sans utilisation médicale reconnue. En août 2016, la DEA a refusé la requête de reclassifier le cannabis au Tableau II (substance à fort potentiel de dépendance, mais avec une utilisation médicale reconnue) sur base qu'il n'existait aucun usage médical reconnu. Les auteurs du rapport concluent qu'il existe des limitations réglementaires, en ce compris la classification du cannabis au Tableau I des substances par la DEA, qui ralentissent l'avancement de la recherche sur le cannabis et les cannabinoïdes. Ils attirent l'attention sur le paradoxe suivant : la forme pure de THC, le principal ingrédient actif de la plante, est classé au Tableau III (risque moindre d'addiction par rapport aux drogues et substances des Tableaux I et II, et avec usage médical reconnu), tandis que la plante elle-même est classée au Tableau I.
Le rapport souligne également le fait que, même si la consommation de cannabis est autorisée à des fins médicales et scientifiques, les chercheurs sont souvent bloqués par les obstacles précédemment cités et n'accèdent pas à la sorte de cannabis, à la quantité, et/ou à la qualité dont ils ont besoin pour étudier les conséquences sanitaires du cannabis sur des sujets spécifiques.
4. Recommandations pour soutenir et améliorer le programme de recherche sur le cannabis
Le rapport se conclut par quatre recommandations spécifiques pour : s'attaquer au manque de recherches, améliorer la qualité des recherches, améliorer la capacité de surveillance, et s'attaquer aux obstacles à la recherche.
D'une part, il recommande de développer une base de preuves sur les effets à court et long terme de la consommation de cannabis sur la santé. Il appelle les organismes publics, les organisations philanthropiques et professionnelles, les entreprises privées, et les groupes de recherche en santé publique et clinique à financer et soutenir le programme national de recherche sur le cannabis, lequel s'attaque aux lacunes de la base de preuves. Il insiste aussi sur la nécessité d'une meilleure compréhension des propriétés pharmacocinétiques et pharmacodynamiques des cannabinoïdes et de mener des essais cliniques et observationnels en utilisant du cannabis, ou ses dérivés, sous différentes formes (inhalation, ingestion ou en utilisant toute la plante).
Il exhorte les National Institutes of Health (NIH, instituts américains de la Santé), les Centres pour le contrôle et la prévention des maladies (CDC), la FDA, les groupes industriels, et les organisations non gouvernementales : à financer conjointement un groupe d'experts pour développer des règles standards afin de guider et assurer la production de recherches de haute qualité sur le cannabis, et à financer un comité d'experts chargé d'établir un rapport objectif sur les obstacles à la recherche et proposer des stratégies pour soutenir le développement de ressources et infrastructures nécessaires pour mener à bien un programme détaillé de recherche sur le cannabis.
Considérations finales
Le rapport expose de nombreuses conclusions sur les preuves rassemblées par le comité pendant son examen des travaux de recherches. Le trait le plus marquant, et qui plaide fortement en faveur de la régularisation du cannabis médical, est l'utilisation par le comité de termes comme « probantes » et « substantielles » en parlant des preuves sur les bénéfices du cannabis dans le traitement de certaines maladies. En effet, c'est une avancée claire dans le langage utilisé comparé au rapport de 1999, dans lequel les cannabinoïdes étaient affublés « d'une potentielle action thérapeutique » pour certains troubles, mais les termes « probant » et « substantiel » n'étaient jamais utilisés. Il est évident que la raison principale de ce changement est le nombre considérable de recherches menées ces dernières années produisant des preuves significatives des effets du cannabis sur différentes maladies. Toutefois, nous ne devrions pas ignorer que la pression de la part de plus en plus de patients pour consommer du cannabis a également influencé les recommandations prescrites dans la section finale du rapport. Tout au long de cette lecture, il est important de se rappeler qu'il n'existe aucun chiffre précis sur la prévalence de la consommation de cannabis sous forme non herbacée (ce qui est le plus répandu chez les patients). L'une des plus grandes faiblesses du rapport est qu'il n'est basé que sur des études menées sur des médicaments approuvés par la FDA comme : le Dronabinol (capsules de THC synthétique), le Nabilone (capsules d'un analogue synthétique de THC), le Sativex (spray de THC et de CBD, extraits de la plante 1:1), l'Epidiolex (concentré d'huile de CBD extrait de la plante) ; et sur des études où la plante était utilisée directement à des fins médicales. Cela laisse un vide par rapport aux effets qu'un grand nombre de patients ressentent avec d'autres formes de cannabis (sous forme comestible, en huiles, en patchs et autres concentrés). Il faut cependant noter que le rapport recommande de s'attaquer à ce manque dans un proche avenir.
La voie à suivre pour la communauté scientifique par rapport au cannabis médical est balisée dans les recommandations du rapport faites aux administrations publiques et organisations privées : financer des études sur les cannabinoïdes, le besoin de créer un groupe d'experts sur le sujet pour créer un programme de recherche sur les cannabinoïdes, et le besoin de modifier le statut légal du cannabis afin de faciliter la standardisation et l'accessibilité aux composés.