Pendant près de 100 ans après la découverte des virus à la fin du 19e siècle, les biologistes et les philosophes ont débattu sur le fait qu'il s'agisse de la plus petite forme de vie connue de l'humanité.
Dépendants d'un cycle de vie strictement parasitaire, les virus infectent les animaux, les plantes, les champignons et les bactéries. Ils se propagent d'une cellule hôte à une autre, d'un organisme hôte à un autre, et même d'une espèce à l'autre. Ils se métamorphosent et évoluent afin d'augmenter leurs chances d'engendrer d'autres générations.
Pendant longtemps, les virus étaient considérés comme le paradigme des séquences d'ADN/ARN programmées pour assurer leur propre survie. Brut et efficace, le virus « porte » et reproduit un infime fragment de matériel génétique, aussi petit que 3500 nucléotides (bactériophage MS2), nécessaire à l'encodage des protéines (souvent des enzymes) dont il a besoin pour maîtriser le métabolisme de la cellule hôte, infecter les cellules voisines et reproduire le virus de façon à détruire la cellule hôte.
Ce n'est que dans les années cinquante qu'on a commencé à comprendre véritablement les génomes et le métabolisme des virus, et cette progression s'est poursuivie à une vitesse fulgurante. Aujourd'hui, les scientifiques manipulent les virus avec grande finesse : les génomes sont codés à la demande et les scientifiques tirent les ficelles de la vie d'un virus comme le ferait un marionnettiste.
Pour les scientifiques, la seule conviction qui risquait d'être ébranlée, la seule faille mineure émanant du débat philosophique des premières décennies du 20e siècle, se résumait au fait que bien qu'on puisse considérer les virus comme des formes vivantes, ce ne sont pas les plus petites. C'est Theodor O. Diener (Département américain de l'agriculture, Beltsville, Maryland, É.-U.) qui a découvert le premier viroïde en 1971 : l'agent causal de la maladie des tubercules fusiformes de la pomme de terre. Il a prouvé que cet agent était un ARN libre de 359 nucléotides, trop petit pour renfermer l'information génétique nécessaire à l'autoréplication et incapable de synthétiser une enveloppe.
VIROÏDES
Les viroïdes, plus petits agents infectieux connus, appartiennent au nouvel ordre d'agents subviraux qui regroupe actuellement deux familles, huit genres et 32 espèces de viroïdes. Leur découverte ajoute à la complexité du monde microscopique et il ne faut pas confondre virus et viroïdes.
Si nous cherchons à établir une analogie, nous pourrions décrire les virus comme des « pirates cellulaires ». Après l'injection de leur matériel génétique, les virus s'emparent de la machine cellulaire, commencent à synthétiser leurs propres enzymes et protéines, et induisent l'autoréplication et l'infection des cellules voisines. Ces pirates ancestraux bénéficient de la grande protection de la capside, cette coque rigide composée de protéines responsables de la spécificité du virus. Les capsides attribuent aux virus leur forme observable, dirigent les virus lorsqu'ils migrent dans les organismes et agissent comme des capteurs de détection des membranes cellulaires précisément ciblées. C'est à l'intérieur de la capside que le vrai algorithme infectieux est codé en ADN/ARN, telle une arme chargée.
Les viroïdes sont différents. Ils se métamorphosent. Caractérisés et modelés uniquement par leurs matériels génétiques (ARN), les viroïdes sont des structures nues qui interagissent avec leur environnement. La nature, l'orientation et la force de l'interaction avec les composés à proximité peuvent modifier la géométrie du viroïde, qui peut s'adapter à un grand nombre d'environnements chimiques.
Avec moins de 1/10 des nucléobases d'ARN total d'un virus, les séquences des viroïdes ne codent pas pour des protéines ou des enzymes. Le matériel génétique d'un viroïde est assemblé de manière à être un passe-partout, c'est-à-dire qu'il est capable de se tordre, de s'étirer, de se plier et de se diviser de façon réversible. Pour bien comprendre la réplication des viroïdes, il faut accepter que l'harmonie chaotique qui définit la biologie cellulaire soit perturbée par une seule et unique structure.
L'ARN d'un viroïde est un court fragment circulaire de 246 à 401 nucléotides avec un degré très élevé d'appariement de base. Le délai entre l'infection de la plante et l'apparition de symptômes visibles caractérise le cycle de vie de certains viroïdes qui, par conséquent, lèguent leur nom à la maladie.
Un exemple de ce genre de comportement – et aussi le sujet central du présent chapitre – est le viroïde latent du houblon (Hop Latent Viroid), élément de la famille Pospiviroidae du genre Cocadviroid.
HLVd
Fig.1 Schéma thermodynamique stable d'origine du HLV, tel que publié dans la revue Nucleic Acids Research en 1988.
HLVd consiste en un polymère à un brin de 256 nucléotides qui adopte une structure de type bâtonnet avec un appariement de base de 65,5 %. Tel qu'il a été présenté au chapitre précédent, HLVd se caractérise par une infection subtile des houblons, comme le suggère son nom, et du cannabis. Le viroïde latent du houblon (HLVd) provoque une réponse immunitaire qui entraîne la nécrose, le jaunissement et la mort des cellules.
L'observation et la caractérisation de HLVd dans le cannabis n'existent que depuis quelques années et sont attribuées à Graham Farra de Glass House Farms avec des preuves scientifiques produites par l'Université de California Davis, en collaboration avec Phylos Bioscience (partenaire privé). En 2017, les premiers symptômes de HLVd ont été aperçus en Californie, et le viroïde est maintenant présent au Canada. Les plantes peuvent être des porteurs latents asymptomatiques.
Symptômes de HLVd
Une plante atteinte de HLVd présente un ensemble de symptômes étranges : croissance chétive, tiges fragiles, maigre floraison, faible expression des structures secondaires et des métabolites, et malformation ou chlorose des feuilles, le tout, sans cause évidente.
La période de latence entre l'infection de la plante et l'apparence des premiers symptômes n'est pas attribuable à un seul facteur déterminant et varie grandement d'un chimiotype à l'autre.
Les données recueillies dans les différentes études semblent indiquer une plus grande efficacité des jeunes individus à reconnaître et à combattre les fragments d'ARN étrangers – comme les viroïdes – ce qui génère un délai que nous justifions comme étant une période de latence.
Les études menées sur HLVd commencent à nous éclairer sur la maladie de « dudding » et proposent des protocoles et des solutions pour atténuer la propagation de l'agent pathogène à l'échelle mondiale.
Premièrement, la maladie de « dudding » altère le rapport croissance/défense des plantes infectées, c'est-à-dire qu'on remarque un délai généralisé dans le temps de croissance et une inertie dans les modifications des conditions de croissance. Ce dernier effet comprend des réactions aux nutriments, aux additifs et à la photopériode.
Le deuxième effet, d'autant plus inquiétant, touche les structures primaires et secondaires comme les fleurs/fruits et les poils/épis. Pour les plantes de cannabis infectées avec HLVd, cela signifie une réduction marquée du nombre de trichomes et une malformation des trichomes restants pour former des structures sèches qui ressemblent à des poils. Les effets de l'infection sur les cultures de cannabis modernes restent à confirmer, mais on estime une perte de 30 % à 80 % du rendement des récoltes des individus infectés. Malheureusement, aucun remède ne peut atténuer l'ampleur de l'infection pour les plantes vivantes; les individus infectés par HLVd doivent être détruits immédiatement.
Conscients des dangers que présente l'agent infectieux, les scientifiques élaborent des techniques pour lutter contre le viroïde au niveau cellulaire et peuvent générer des descendants sains à partir d'un hôte infecté en utilisant différentes techniques comme la thermothérapie, la thérapie par le froid, la culture tissulaire, le microgreffage in vitro, ou la cryothérapie, selon le couple viroïde-hôte en particulier.
Transmission et précautions
La récupération de matériel génétique propre à partir d'échantillons contaminés est plus difficile qu'elle le laisse entendre : HLVd peut survivre pendant une longue période à l'extérieur du confort des cellules vivantes, et les tissus morts ont démontré leur capacité à propager la maladie.
Le risque de sacrifier une grande part d'une culture effraie suffisamment pour recommander des protocoles d'hygiène stricts. Les environnements intérieurs stériles, l'usage unique des gants et des outils, et l'isolement biologique adéquat des plantes de cannabis sont recommandés par l'ensemble de la communauté scientifique depuis le début de la renaissance du cannabis, mais les menaces imminentes transformeront la recommandation en un critère obligatoire. Une solution javellisante à 10 % ou une stérilisation au brûleur ou à la flamme du bec Bunsen sont des méthodes conservatrices pour prévenir ou éviter la contagion par les outils réutilisables, ce qui permet de limiter les dépenses relatives aux matériels à usage unique.
La propagation de HLVd dans le monde du cannabis par les semences est moins répandue, mais ne peut pas encore être écartée. Les semences doivent être considérées comme des petites « voûtes » pour les structures d'ADN. Elles sont parmi les environnements les plus hostiles pour le matériel génétique étranger, prévenant l'accumulation de l'agent pathogène. En revanche, l'extérieur de la graine peut tout de même transporter des débris et d'autres fragments qui peuvent se comporter comme des vecteurs de viroïdes; on recommande donc une manipulation consciencieuse (nettoyage) pour réduire davantage les risques.
Les études entourant le HLVd sur les plantes de houblons semblent exclure la contagion par les insectes, mais les données restent à prouver pour ce qui est des variants associés au cannabis.
Les petits producteurs privés devraient se sentir relativement protégés : avec des espaces intérieurs propres, souvent visités par moins de dix personnes, et une sélection à partir de quelques douzaines de graines germées ou boutures, les risques de contagion d'une plante à l'autre ou d'un outil à une plante sont minimisés.
À plus grande échelle, la fragmentation des zones de cultures en petites unités et la restriction ou l'enregistrement aux points d'accès pour entrer et sortir des espaces de culture et de travail sont des règles de BPF (bonne pratique de fabrication) à ne pas ignorer.
Comme pour plusieurs autres agents pathogènes, la meilleure façon d'assurer une réponse rapide au HLVd consiste à se doter d'un programme d'analyse robuste. Les laboratoires partout dans le monde sont prêts à identifier et même à séquencer HLVd et d'autres viroïdes/virus en s'appuyant sur des techniques courantes à des prix concurrentiels.
La transcription inverse-PCR (amplification en chaîne par polymérase) domine l'offre pour les échantillons commerciaux. Cette technique amplifie les séquences d'ARN dans l'échantillon et, après quelques passages, identifie les fragments connus (séquences et fragments du viroïde) avec une grande précision, ce qui permet un diagnostic hâtif.
Le séquençage d'ARN est aussi une option : le matériel ARN complet trouvé dans les cellules est amplifié, les fragments naturels sont écartés et ceux qui restent sont analysés en détail.
Bien que les prix des laboratoires tiers diminuent rapidement, ces techniques peuvent être exécutées en interne, avec des machines spécialisées.
Même s'ils disposent déjà de quelques méthodes robustes, les scientifiques continuent d'élaborer plusieurs nouvelles techniques pour accélérer et simplifier la détection de HLVd à grande échelle. Dans tous les cas, l'envoi de plusieurs échantillons par plante peut s'avérer nécessaire pour déterminer avec certitude si la plante est exempte de viroïdes.
Pour diagnostiquer efficacement l'absence de maladie chez une plante, certains laboratoires recommandent au moins trois ou quatre échantillons tests par plante, tous réalisés à une ou deux semaines d'intervalle.
Les producteurs doivent faire très attention aux plantes mères. Généralement, ces échantillons doivent être envoyés durant la nuit et conservés sur la glace.
Si une installation obtient un test positif à HLVd, les génétiques sélectionnées pourraient tout de même être sauvées. Des laboratoires et entreprises ont développé leurs propres techniques brevetées pour combattre l'accumulation de viroïdes dans des tissus précis.
Les traitements à la chaleur ou au froid sont généralement utilisés sur la culture tissulaire du méristème ou du nœud pour nettoyer l'échantillon. Les cellules tissulaires végétales nettoyées sont ensuite cultivées dans un milieu de culture spécialisé, puis multipliées pour créer des pousses enracinées saines appelées « plantules » (c'est aussi ce qu'on appelle le microbouturage).
Le plus grand obstacle à ces procédures est le coût pouvant s'élever à des milliers de dollars.
Conclusions
Les virus et les viroïdes, comme HLVd, ne cesseront pas d'exister uniquement parce que le monde du cannabis tourne son attention vers des sujets plus populaires. Fundación Canna est consciente des risques associés à HLVd qui émergeront lorsque la mondialisation et les pratiques illicites en viendront à propager l'agent pathogène, et elle est déjà en mode réaction.
Écrivez à info@fundacion-canna.com pour obtenir de l'aide!
Bibliographie et crédits
Un merci tout spécial à Abha Gupta, horticulteur, pour son soutien exceptionnel dans la rédaction finale de cet article.
Gergerich, R.C., and V. V. Dolja. Introduction to Plant Viruses, the Invisible Foe. The Plant Health Instructor. 2006 DOI: 10.1094/PHI-I-2006-0414-01
Patzak, J.; Henychová, A.;Krofta, K.; Svoboda, P.; Malíˇrová, I. The Influence of Hop Latent Viroid (HLVd) Infection on Gene Expression and Secondary Metabolite Contents in Hop (Humulus lupulus L.) Glandular Trichomes. Plants 2021, 10, 2297. https://doi.org/10.3390/plants10112297
Holger Puchta, Karla Ramm and Heinz L.Sanger. The molecular structure of hop latent viroid (HLVd), a new viroid occurring worldwide in hops; Accession no. X07397 Max-Planck-Institut fuir Biochemie, April 18, 1988
Marina Barba, Zhibo Zhang. Viroid Elimination by Thermotherapy, Cold Therapy, Tissue Culture, In Vitro Micrografting, or Cryotherapy:, in Viroids and Satellites, 2017