Par Viola Brugnatelli
Viola Brugnatelli est neuroscientifique et endocannabinologue, elle mène des recherches sur le cannabis et enseigne au département de neuroscience à l'Université de Padua, en Italie. Elle est co-fondatrice de Cannabiscienza, une entreprise de formation sur le système endocannabinoïde et le cannabis médical pour les professionnels de la santé.
Membre de longue date de la International Cannabinoid Research Society et ambassadrice italienne pour l'Association internationale pour le cannabis médical, Viola évolue dans les laboratoires de pharmacologie, se spécialisant dans les récepteurs cannabinoïdes/terpénoïdes orphelins et leurs signaux de douleur et d'inflammation.
Elle collabore actuellement avec Fundación Canna, le comité de rédaction du Journal of Cannabinoid Medicine et en tant qu'auteure invitée pour diverses revues spécialisées dans le domaine, dont Project CBD. Au fil des ans, Viola contribue à l'élaboration de divers cours de FMC sur le cannabis, sensibilisant les médecins et les pharmaciens du monde entier. Elle est vice-présidente d'un OSBL qui vise à donner du pouvoir aux femmes qui travaillent en médecine par les plantes.
La plante de cannabis la fascine surtout parce qu'elle nous permet de découvrir et de comprendre le système endocannabinoïde et sa façon de le moduler qui dépasse les capacités des phytocannabinoïdes. Elle collabore maintenant de près avec des anesthésiologistes qui utilisent l'hypnothérapie pour évaluer le rôle du SEC dans la capacité à modifier notre état de conscience sans médicament.
La propagation rapide et mondiale d'organismes résistants aux agents antimicrobiens au cours des dernières années est sans précédent. Le cannabis et ses phytocannabinoïdes semblent être une solution viable pour contrer ce qui pourrait facilement devenir la prochaine crise médicale mondiale. Le cannabigérol (CBG) gagne une attention particulière dans le monde scientifique. Étudié pour ses propriétés antimicrobiennes, le CBG s'avère être le cannabinoïde le plus efficace contre les microorganismes qui développent une résistance aux antibiotiques, un phénomène qui prend malheureusement de l'ampleur à l'échelle planétaire.
Qu'est-ce que le CBG et d'où vient-il?
Commençons par la base : le CBG est le précurseur direct des cannabinoïdes plus connus, c'est-à-dire le delta-9-tétrahydrocannabinol (THC), le cannabidiol (CBD) et le cannabichromène (CBC).
Vous pouvez le voir comme le père de tous les autres cannabinoïdes... Habituellement les plantes de cannabis matures ne contiennent pas un pourcentage élevé de CBG. La concentration en cannabinoïdes et en autres métabolites secondaires ainsi que leur relation déterminent les chimiotypes du cannabis.
Les gènes et allènes particuliers déterminent le type de cannabinoïdes présents dans certaines variétés (1). Les chimiotypes qui contiennent une forte concentration de CBG sont de type 4 (2). Évidemment, en plus des gènes, de nombreux facteurs environnementaux, notamment la température, les conditions lumineuses et les nutriments, peuvent altérer la production finale de métabolites secondaires.
Comment obtenir des cultivars à forte concentration de CBG?
Dans la plante de cannabis, la biosynthèse des cannabinoïdes se fait au sein des trichomes glandulaires grâce à un réseau très complexe de processus enzymatiques (3).
Les cannabinoïdes sont synthétisés et accumulés sous forme d'acides carboxyliques (p. ex., acide cannabigérolique, CBGA). Ils peuvent parfois perdre leur composant acide et devenir neutres au cours d'un processus que l'on appelle la décarboxylation, qui se produit grâce à la chaleur et non à une enzyme particulière (p. ex., lorsqu'il est soumis à la décarboxylation, l'acide cannabigérolique [CBGA] se transforme en cannabigérol [CBG]) (4).
En général, presque toutes les réactions biologiques sont des catalyses enzymatiques. Par « catalyse », nous entendons un phénomène chimique dans lequel la vitesse d'une réaction augmente en raison de l'intervention d'une substance appelée catalyseur, qui n'est elle-même pas altérée dans le processus.
En biologie, les catalyseurs sont les enzymes. Pour qu'une plante puisse produire du THCA, du CBDA et du CBCA à partir de la molécule précurseure CBGA, certaines réactions enzymatiques sont nécessaires.
Les différentes conversions du CBG sont catalysées sous forme de réaction enzymatique par trois différentes enzymes, appelées synthases, qui ont été identifiées pour chaque réaction :
- Acide tétrahydrocannabinolique (THC) synthase (génère du THCA)
- Acide canabidiolique (CBD) synthase (génère du CBDA)
- Acide cannabichroménique (CBC) synthase (génère du CBCA)
Les CBC et THC synthases sont très similaires quant à leur affinité (capacité de liaison) pour le CBG et à leur capacité catalytique. L'affinité de CBC synthase pour son substrat (CBG) est plus élevée mais sa capacité catalytique est plus faible, ce qui entraîne une production de CBC plus faible.
Il a été démontré que les chimiotypes CBD et THC sont contrôlés par un gène appelé B, qui se présente sous deux formes (allèles), BD et BT, qui mènent à la formation des chimiotypes CBD et THC, respectivement.
Par conséquent, les plantes à concentration élevée de CBD ont un gène BD / BD (ce qui signifie que les deux allèles, ou formes de gène, sont BD).
Les plantes contenant principalement du THC ont quant à elles un gène BT / BT, tandis que les plantes avec un ratio semblable des deux cannabinoïdes ont un gène BT / BD.
Les plantes à dominance CBG, pour leur part, ont un allèle B0, qui cause un défaut dans le processus de synthèse des autres cannabinoïdes.
Autrement dit, pour qu'une plante de cannabis soit en mesure de produire principalement du CBG, elle doit avoir un « problème » avec les enzymes qui catalysent les réactions permettant d'obtenir les autres cannabinoïdes (CBD, THC et CBC) (5).
Qu'est-ce que la résistance aux antibiotiques et comment le CBG peut-il aider?
Dans un de ses rapports, l'Organisation mondiale de la santé (OMS) a publié pour la première fois une liste des maladies prioritaires résistantes aux antibiotiques. Cette liste est constituée de douze familles de bactéries qui présentent une menace sérieuse pour la santé humaine (6). Sur cette liste s'inscrit la bactérie à Gram positif Staphylococcus aureus, l'une des bactéries les plus infectieuses et l'une des principales causes de morbidité et de mortalité à l'échelle mondiale.
Pour aggraver encore plus la situation, nous avons été témoins au cours des dernières années de la propagation rapide (particulièrement dans les hôpitaux et dans les cliniques) d'une espèce de bactéries Staphylococcus aureus résistante à la méthicilline, (S. aureus résistant à la méthicilline, staphylocoque ou SARM), qui est résistante à tous les antibiotiques β-lactam connus, ainsi qu'à d'autres types d'antibiotiques.
Dans le rapport de l'OMS, 75 % des autres bactéries résistantes sont des bactéries à Gram négatif, des bactéries qui sont déjà difficiles à traiter avec des médicaments en raison de la présence d'une paroi cellulaire (qui n'est pas présente dans les bactéries à Gram positif) et qui complexifie grandement l'action des médicaments sur celles-ci.
Quel est le rôle du CBG dans tout cela?
Uncovering the Hidden Antibiotic Potential of Cannabis est un ouvrage récent qui a été publié dans ACS Infectious Diseases, la revue sur les maladies infectieuses de l'American Society of Chemistry (7).
Les chercheurs de l'étude ont mis à l'essai l'activité antibactérienne d'une variété de cannabinoïdes accessibles sur le marché, y compris les cinq principaux phytocannabinoïdes, soit le cannabichromène (CBC), le cannabidiol (CBD), le cannabigérol (CBG), le cannabinol (CBN) et le tétrahydrocannabinol (THC), contre S. aureus résistant à la méthicilline.
Les résultats obtenus ont montré que tous les composés ont une bonne activité antibiotique, les phytocannabinoïdes dans leur forme neutre étant plus puissants que leurs acides précurseurs (CBCA, THCA...) et leurs dérivés divariniques (CBDV, THCV...).
Comme l'un des principaux facteurs contribuant à la virulence de S. aureus est sa capacité à former un biofilm, qui augmente aussi la résistance aux antibiotiques, les chercheurs ont également mis à l'essai la capacité des composés tests à empêcher la formation de ce biofilm. Les résultats obtenus corroboraient les précédents et le CBG s'est avéré être le cannabinoïde le plus puissant pour empêcher la formation du biofilm.
Le CBG s'est également révélé être le composé le plus efficace contre la formation des populations MRSA dormantes, appelées « persisters », qui sont responsables de la chronicité et de la récurrence des infections à S. aureus (7).
Le CBG : un nouvel antibiotique naturel prometteur?
Grâce aux analyses par bio-ordinateur, les chercheurs ont pu comprendre que le possible mécanisme d'action du CBG est causé par une interaction avec la membrane plasmique des bactéries à Gram positif, qui est en fait détruite par le CBG.
Des essais subséquents ont montré que le CBG est efficace contre S. aureus résistant aux antibiotiques même in vivo, sur des animaux de laboratoire, à un dosage de 100 mg/kg.
Utilisés en combinaison avec le polymyxin-B (antibiotique contre les organismes à Gram négatif), tous les phytocannabinoïdes testés ont acquis une plus grande capacité antibactérienne. Plus particulièrement, le CBG, actif contre E. coli à un dosage de 128 μg/ml, s'est révélé efficace en combinaison avec le polymyxin-B à un dosage d'aussi peu que 1 μg/ml.
Cela confirme ce que des chercheurs avaient déjà supposé : l'action des phytocannabinoïdes en synergie avec les antibiotiques se fait en détruisant la membrane plasmique des bactéries (car le polymyxin-B permet aux phytocannabinoïdes de passer à travers la paroi cellulaire d'une bactérie à Gram négatif et d'ainsi atteindre sa membrane plasmique).
À titre de confirmation additionnelle, le CBG, combiné avec le polymyxin-B, s'est avéré efficace pour empêcher la croissance d'autres bactéries à Gram négatif très dangereuses, notamment A. baumannii, Klebsiella pneumoniae et Pseudomonas aeruginosa.
Grâce à cette nouvelle étude, les chercheurs ont « mis au grand jour » l'activité antibactérienne à large spectre des cannabinoïdes et ont démontré le potentiel du CBG contre les agents pathogènes résistants aux antibiotiques, qu'ils soient à Gram positif ou à Gram négatif.
En outre, cette recherche vient soutenir davantage l'idée que les phytocannabinoïdes peuvent être produits par la plante de cannabis comme défense naturelle contre les agents pathogènes (7).
Quels sont les cultivars qui produisent du CBG?
Les variétés françaises Santhica 23, Santhica 27 et Santhica 70 (au sens littéral « sans THC ») sont des exemples de cultivars (variétés agricoles de la même espèce botanique) à forte concentration de cannabigérol (CBG : 1,5 - 2,0 %).
Dans certains cas, même dans la culture de la variété italienne Carmagnola, un mince pourcentage de plantes présente une concentration élevée de CBG, en comparaison à la prévalence habituelle du CBD.
Une sélection de variétés à dominance CBG a mené à la production de cultivars à forte concentration de ce cannabinoïde, par la société espagnole Phytoplant. La sélection de ces variétés a été effectuée en commençant par des variétés monoïques, soit des plantes qui portent des fleurs mâles et des fleurs femelles, dites aussi hermaphrodites.
Un pourcentage des graines dérivées de ces plantes développera des plantes dioïques, ce qui permet de sélectionner les phénotypes qui possèdent les caractéristiques les plus intéressantes.
En Italie, la société Canvasalus a récemment enregistré dans la banque de données génétique de Phylos Biosciences la Gerona, une nouvelle variété avec un pourcentage de CBG pouvant atteindre 8 %.
Puisque la recherche sur le CBG donne des résultats prometteurs, non seulement pour un usage en tant qu'antibiotique, mais également pour traiter l'inflammation intestinale et des troubles dermatologiques (par exemple, il a été démontré que le CBG était capable de prévenir la croissance d'une lignée cellulaire kératinocyte humaine, comme dans le psoriasis), ces plantes pourraient être utilisées dans un avenir assez proche (8).
Conclusions :
Le CBG, phytocannabinoïde présent dans la plante de cannabis à de faibles concentrations, a été sélectionné par les chercheurs dans le cadre d'études sur le possible mécanisme d'action des dérivés du cannabis pour contrer la résistance aux antibiotiques.
Cela s'explique par le fait que, en plus d'être le phytocannabinoïdes avec la meilleure activité antibactérienne, le CBG présente aussi d'autres avantages :
- Il ne cause pas d'effets psychoactifs;
- Il peut être synthétisé en laboratoire de façon simple et peu coûteuse, à partir de l'olivétol et du géraniol, des composés faciles à obtenir;
- De plus en plus de pays normalisent le CBD comme médicament, et le CBG pourrait être une autre option pour les entreprises qui ne parviennent pas à se conformer aux normes requises pour les ingrédients pharmaceutiques actifs. Elles pourraient alors se tourner vers la culture du CBG.
- Le plus important peut-être est que les études menées par les chercheurs prouvent que le CBG n'induit pas une résistance antimicrobienne à S. aureus résistant aux antibiotiques.
References:
1) De Meijer, E. P. (2014). The chemical phenotypes (chemotypes) of Cannabis. Handbook of Cannabis, 89-110.
2) Aizpurua-Olaizola, O., Soydaner, U., Öztürk, E., Schibano, D., Simsir, Y., Navarro, P., ... & Usobiaga, A. (2016). Evolution of the cannabinoid and terpene content during the growth of Cannabis sativa plants from different chemotypes. Journal of natural products, 79(2), 324-331.
3) Aizpurua-Olaizola, O., Soydaner, U., Öztürk, E., Schibano, D., Simsir, Y., Navarro, P., ... & Usobiaga, A. (2016) Evolution of the cannabinoid and terpene content during the growth of Cannabis sativa plants from different chemotypes. Journal of natural products, 79(2), 324-331.)
4) Onofri, C., de Meijer, E. P., & Mandolino, G. (2015). Sequence heterogeneity of cannabidiolic-and tetrahydrocannabinolic acid-synthase in Cannabis sativa L. and its relationship with chemical phenotype. Phytochemistry, 116, 57-68.)
5) De Meijer, E. P. M., & Hammond, K. M. (2005). The inheritance of chemical phenotype in Cannabis sativa L.(II): cannabigerol predominant plants. Euphytica, 145(1-2), 189-198.)
6) Tacconelli, E., et al."Global priority list of antibiotic-resistant bacteria to guide research, discovery, and development of new antibiotics." World Health Organization 27 (2017). APA
7) Farha, Maya A., et al. "Uncovering the hidden antibiotic potential of Cannabis." BioRxiv (2020): 833392. APA
8) Wilkinson, J. D., & Williamson, E. M. (2007). Cannabinoids inhibit human keratinocyte proliferation through a non-CB1/CB2 mechanism and have a potential therapeutic value in the treatment of psoriasis. Journal of Dermatological Science, 45(2), 87-92. doi:10.1016/j.jdermsci.2006.10.009