Par Luis F. Callado
Docteur en médecine et en chirurgie. Professeur titulaire de pharmacologie à l'Université du Pays basque. Directeur du master en « Pharmacologie. Développement, évaluation et utilisation rationnelle des médicaments ». Effectue des recherches dans le domaine de la neuropsychopharmacologie. A travaillé comme chercheur à l'université d'Oxford et au Royal London Hospital. Il a écrit plus de 100 articles dans des revues internationales indexées sur le SCI (Science Citation Index - Indice de citation scientifique), a donné plus de deux cents interventions lors de conférences et a écrit plusieurs chapitres de livres. Il est également chercheur collaborateur du Centre de recherche biomédicale en réseau (CIBER) dans le domaine de la santé mentale.
La schizophrénie est une maladie mentale chronique touchant approximativement 1 % de la population. Cela débute généralement à l'adolescence. Son pouvoir incapacitant persiste et empire tout au long de la vie du patient. Résultat, la durée de vie de patients atteints de schizophrénie est réduite de 10 ans par rapport à la moyenne de la population. A cause des déficits qui y sont associés et de la nature chronique de la maladie, la schizophrénie est la 5e maladie la plus coûteuse pour la société. Ce coût social élevé est principalement dû à sa précocité, la fréquence d'hospitalisation, le besoin d'une aide psychosociale et la perte de productivité.
Trois groupes de symptômes peuvent être identifiés : symptômes psychotiques positifs (hallucinations, délires, distorsions de la pensée), négatifs (anhédonie, alogie, isolement social ou comportement insociable), et cognitifs (trouble de l'attention, de la mémoire et des fonctions exécutives). Le cours de la maladie est caractérisé par des alternances de rechutes psychotiques ou exacerbations et des périodes de rémission partielle où les symptômes négatifs et cognitifs dominent.
L'étiologie de la schizophrénie est multifactorielle. Il existe des preuves qui suggèrent que tant des facteurs génétiques qu'environnementaux puissent contribuer à son apparition. Parmi ces facteurs environnementaux, plusieurs études épidémiologiques laissent entendre que la consommation de cannabis est un facteur de risque pour le développement de la maladie.
Facteur de risque ?
La relation entre la consommation de cannabis et la psychose est connue depuis une centaine d'années. Il existe de nombreuses preuves démontrant que le cannabis peut causer une série de symptômes psychotiques transitoires (par ex., idées paranoïaques ou délirantes, hallucinations auditives ou visuelles, délires de persécution, etc.) qui sont tous similaires aux symptômes de la schizophrénie. Certains auteurs ont suggéré que cette psychose transitoire aigüe, provoquée par le cannabis, pourrait être les prémices de la schizophrénie elle-même, ou des symptômes soi-disant avant-coureurs qui précédent l'apparition de la maladie.
Pourtant, il semble évident qu'il n'existe pas de lien de causalité direct entre la consommation de cannabis et l'apparition de la schizophrénie, puisque la prévalence de la maladie est similaire dans des régions et des cultures très différentes, avec des tendances et des habitudes de consommation de cannabis différentes aussi. De plus, malgré une augmentation significative de la consommation de cannabis ces dernières années, la prévalence et l'incidence de la schizophrénie sont fondamentalement les mêmes. Enfin, seul un petit nombre de consommateurs de cannabis développe la maladie. On pourrait également inverser le discours : la plupart des patients atteints de schizophrénie n'ont jamais consommé de cannabis.
D'un autre côté, il y a abondance de preuves pointant vers l'existence d'une association, au sein d'une certaine population, entre une consommation aigüe et un plus grand risque de souffrir de schizophrénie. Plusieurs études épidémiologiques ont démontré que les consommateurs avaient 1,4 fois plus de risques de développer la maladie. Ce facteur augmente à 2,1 parmi ceux qui consomment fréquemment de grosses quantités. Conclusion générale tirée des méta-analyses de ces études : la relation entre la consommation de cannabis et la schizophrénie est faible à modérée.
Ce lien pourrait aussi être affecté par la coexistence d'autres facteurs de vulnérabilité au développement de ce trouble comme l'abus d'autres stupéfiants, un niveau socio-économique bas, ou des antécédents familiaux. A cet égard, il a été suggéré que parmi les personnes avec une certaine vulnérabilité génétique face au développement de la schizophrénie, la consommation de cannabis pourrait considérablement augmenter le risque, précipiter son apparition, et engendrer la pire forme de la maladie avec une symptomatologie plus grave et une réponse plus faible au traitement pharmacologique. Beaucoup d'études indiquent également que le premier épisode psychotique peut être précipité de plusieurs années à cause de la consommation de cannabis. Selon la population étudiée, cette avance peut être de 3 à 7 ans. Une étude de la population espagnole confirme également cette précocité du premier traitement psychotique, observant une relation avec la fréquence de consommation de cannabis. Ajoutons à cela qu'il a été observé que l'apparition de la schizophrénie est plus précoce chez les consommateurs masculins. Certains auteurs suggèrent que cette différence pourrait s'expliquer par le fait que les hommes commencent à fumer du cannabis plus jeunes.
Une des conclusions qui peut être tirée des études épidémiologiques : la consommation précoce de cannabis au cours de l'adolescence augmente le risque de développer de la schizophrénie et/ou des symptômes psychotiques à l'âge adulte. Les consommateurs de cannabis adolescents qui développent de la schizophrénie pourraient également recevoir un pronostique pire : une apparition plus précoce de la maladie, une plus grande psychopathologie, une augmentation des rechutes, et un plus grand risque que le traitement antipsychotique ne rate. Tant les récepteurs cannabinoïdes que les endocannabinoïdes apparaissent au début du développement cérébral et semblent impliqués dans les processus de synaptogenèse des réseaux neuronaux pendant ce développement cérébral. On a démontré que le système endocannabinoïde joue un rôle significatif dans le développement neuronal, principalement de part son rôle de modulateur pour la libération du glutamate, un neurotransmetteur. Par l'activation des récepteurs cannabinoïdes CB1, le cannabis pourrait interférer avec ces processus physiologiques normaux et causer des altérations dans la libération du glutamate, ce qui pourrait provoquer des effets neurotoxiques légers et des anomalies structurelles conséquentes. La maturation du cortex préfrontal est l'un des processus les plus importants de l'adolescence et il est possible que la consommation de cannabis lors de cette période cruciale de développement affecte spécifiquement le processus de consolidation de certains réseaux neuronaux de cette zone du cerveau. Ce processus anormal de maturation provoqué par la consommation de cannabis à l'adolescence pourrait expliquer le plus grand risque de développer de la schizophrénie à l'âge adulte, surtout parmi les sujets avec une plus grande prédisposition génétique.
Quel que soit le rôle joué par le cannabis dans l'apparition de la schizophrénie, il semble clair que la poursuite de la consommation après un diagnostic de schizophrénie est associée à une plus grande incidence et sévérité des symptômes positifs et un moins bon fonctionnement général. En revanche, stopper sa consommation améliore les symptômes dépressifs et le niveau d'anxiété, réduit les symptômes psychotiques, et, de manière générale, conduit à un meilleur fonctionnement psychosocial pour le patient. Il est donc important d'insister sur l'idée que stopper le cannabis peut être efficace pour le traitement et l'évolution des patients atteints de schizophrénie. Ceci dit, dans certains cas, la consommation de cannabis pourrait en fait constituer une sorte d'automédication destinée à réduire les symptômes de la maladie ou à contrecarrer les effets secondaires du traitement pharmacologique.
Se pourrait-il que certains composants du cannabis soient une alternative thérapeutique pour traiter la schizophrénie ?
A l'heure actuelle, le traitement pharmacologique de la schizophrénie est basé sur l'utilisation de médicaments antipsychotiques. Ils sont très efficaces pour réduire les symptômes positifs, mais restent très limités pour contrôler les symptômes négatifs et cognitifs. De plus, ils tendent à avoir des effets secondaires majeurs (symptômes du syndrome extrapyramidal ou de la maladie de Parkinson, prise de poids, syndrome métabolique, etc.) et 20 % des patients ne ressentent absolument aucune amélioration suite au traitement. En conséquence, ces dernières années, une attention grandissante s'est portée sur le système endocannabinoïde endogène comme un possible nouvel objectif thérapeutique pour le traitement de la schizophrénie. Essentiellement de par le rôle homéostatique de ce système dans la neurotransmission cérébrale et dans le processus inflammatoire. De plus, plusieurs altérations du système cannabinoïde endogène ont été identifiées chez les patients atteints de schizophrénie. Certains ont dès lors suggéré qu'il serait utile pour la thérapie de moduler les taux d'endocannabinoïdes en utilisant le phytocannabinoïde cannabidiol. Plusieurs essais cliniques sont en cours pour évaluer les propriétés antipsychotiques du cannabidiol chez les patients schizophrènes. Malheureusement, peu de données ont déjà été publiées par rapport à ces études. Cependant, des preuves initiales suggèrent que le cannabidiol pourrait améliorer les symptômes et provoquer moins d'effets secondaires par rapport aux antipsychotiques utilisés actuellement pour traiter la maladie.
C'est en 1995 que le premier cas de traitement au cannabidiol (jusqu'à 1 500 mg/jour) améliorant les symptômes d'un patient schizophrène résistant aux antipsychotiques a été publié. Depuis, plusieurs essais cliniques ont été lancé pour jauger l'efficacité du cannabidiol chez les patients schizophrènes. L'un des premiers essais à être publié comparait l'efficacité du cannabidiol face à l'antipsychotique amisulpride, sur une période de 4 semaines. Les deux composés présentaient une amélioration clinique significative avec une efficacité antipsychotique comparable. Le cannabidiol avait moins d'effets secondaires que l'amisulpride. Il ne provoqua ni une augmentation des taux de prolactine, ni une prise de poids, ni des symptômes du syndrome extrapyramidal. Au moins deux autres essais cliniques sont en cours. L'un compare les effets du cannabidiol face à un placebo ; l'autre compare le cannabidiol à un placebo comme coadjuvant pour des patients traités avec l'antipsychotique, rispéridone. En résumé, les données disponibles à l'heure actuelle sur les effets antipsychotiques du cannabidiol sont toujours limitées, même si les résultats ont déjà l'air prometteurs.
Et tandis qu'il est important d'éviter le climat d'inquiétude sociale qui tend à voir la consommation de cannabis comme seule responsable du déclenchement de la schizophrénie, nous ne devrions pas ignorer l'influence qu'elle peut avoir sur une population vulnérable. La consommation de cannabis doit être prise en considération, avec des précautions particulières pour les sujets vulnérables et les adolescents. Une éducation préventive est nécessaire pour essayer de retarder le plus longtemps possible le début de la consommation de cannabis, afin de minimiser les risques de contribuer à l'apparition de graves maladies à l'âge adulte.
Références :
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