Par Saoirse O'Sullivan
Le Dr Saoirse Elizabeth O'Sullivan a obtenu son doctorat du Trinity College de Dublin en 2001 et a déménagé à l'Université de Nottingham en 2002 en tant que chercheur où elle a commencé à étudier la pharmacologie des cannabinoïdes. Elle a été chargée de cours en 2007 et nommée professeure agrégée en 2011. Elle compte plus de 26 articles de recherche originaux, 6 revues et 3 chapitres de livres sur le sujet de la pharmacologie des cannabinoïdes, avec un intérêt particulier sur les effets cardiovasculaires et gastro-intestinaux des cannabinoïdes et le potentiel thérapeutique des médicaments à base de cannabis. Ses méthodes de recherche vont des modèles cellulaires et animaux aux études sur des volontaires humains sains en passant par les essais cliniques en phase précoce. En 2016, elle a été nommée jeune chercheuse de l'année de la Société Internationale de Recherche sur les Cannabinoïdes. En 2017, Saoirse créa sa propre société de conseil, CanPharmaConsulting.
La plante de cannabis contient plus d'une centaine de composés chimiques connus sous le nom de phytocannabinoïdes, chacun ayant un profil pharmacologique, des effets biologiques et donc un potentiel thérapeutique uniques. Si nos connaissances scientifiques se sont concentrées sur les deux phytocannabinoïdes les plus connus (et abondants), à savoir le Δ9-tétrahydrocannabinol (Δ9-THC) et le cannabidiol (CBD), certains des composants chimiques les moins abondants ont récemment suscité l'intérêt.
Il s'agit notamment du cannabigérol (CBG), du cannabichromène (CBC), du Δ9-tétrahydrocannabivarine (THCV), du cannabivarine (CBV) et de la cannabidivarine (CBDV). D'autres cannabinoïdes tels que le cannabinodiol (CBND), le cannabielsion (CBE), le cannabicyclol (CBL) et le cannabitriol (CBT), sont présents à l'état de trace dans le cannabis, mais on en sait encore très peu au sujet de ces composants. Le THC et le CBD présents dans la plante sont leur précurseurs. L'acide tétrahydrocannabinolique (THCA), l'acide cannabidiolique (CBDA), le THCA et le CBDA font également l'objet d'études scientifiques. Cet article examinera l'état actuel de nos connaissances sur les phytocannabinoïdes moins connus (y compris THCA et CBDA) et leurs utilisations médicinales potentielles.
THCA
Précurseur du THC produit par la plante, le THCA est décarboxylé (une modification de la structure chimique) sous l'effet de la chaleur, la lumière et du temps, par exemple en le chauffant, en le fumant ou en le cuisant, pour devenir du THC. Contrairement au THC, le THCA n'est pas associé à des effets psychotropes chez les singes, les souris ou les chiens, et comme nous savons que ces effets sont dus à l'activation du récepteur CB1, cela suggère que le THCA n'est pas un puissant activateur de ce récepteur. Il n'existe que très peu de recherches sur les effets biologiques du THCA, et ces dernières portent uniquement sur des animaux. Chez les rats, il a été démontré que le THCA réduit les nausées (tout comme le THC, dont c'est un effet très connu). Cette étude a permis de découvrir que les effets du THCA étaient provoqués par le récepteur CB1. Cependant, contrairement au THC, le THCA n'a pas réduit la température corporelle ni la locomotion, ces deux phénomènes étant tous deux des réactions caractéristiques au CB1. Il est donc intéressant que le THCA puisse causer certaines réactions associées au CB1 et pas d'autres. Une étude sur les macrophages humains (globules blancs jouant un rôle important dans l'élimination des substances étrangères) a montré que si le THCA pouvait réduire l'inflammation, le récepteur CB1 ou CB2 n'y jouait aucun rôle. Une autre étude a montré que le THCA était anti-oxydant dans les cellules du cerveau de souris et pouvait protéger les cellules contre la mort cellulaire induite par voie chimique. Le THCA peut également inhiber l'activité de la cyclooxygénase (COX) (le même mécanisme d'action que l'aspirine ou l'ibuprofène). Bien que les données soient très limitées pour le moment, ces études donnent à penser que le THCA a, en soi, des effets bénéfiques qui mériteraient de faire l'objet d'études plus poussées, surtout si cela permet d'éviter les effets psychotropes du THC auxquels les patients ne souhaitent pas toujours être confrontés. On signale en effet, des cas de patients ayant tiré profit de la THCA en cas de douleur liée à l'épilepsie et au cancer, qui tendent à confirmer le bienfondé de cette hypothèse.
Δ9-tétrahydrocannabivarine (THCV)
Le THCV est un homologue (c'est-à-dire qu'il a une structure chimique similaire) au THC, mais au lieu d'activer le CB1, les chercheurs pensent que le THCV est un antagoniste du CB1 (un inhibiteur du récepteur) et peut donc avoir un potentiel thérapeutique dans les troubles métaboliques et la perte de poids (effet 'anti-fringale'). Dans les études menées sur le rat, il a été démontré que le THCV diminue les graisses hépatiques et augmente le métabolisme des graisses chez les animaux, rétablit a sensibilité à l'insuline chez les souris obèses, et réduit la prise alimentaire entraînant une perte de poids chez les souris. Pour tester ces effets métaboliques positifs du THCV chez l'homme, ce composé a été récemment testé au cours d'études et d'essais cliniques sur des volontaires sains. Chez 20 volontaires sains, une dose unique de 10 mg de THCV a modifié des éléments du fonctionnement du cerveau qui pourraient être liés à la prise alimentaire. Chez 20 volontaires ayant pris 10 mg de THCV, on a observé une augmentation de la réaction du cerveau au chocolat ainsi qu'une augmentation des réactions aux stimulus aversifs. Chez les patients atteints de diabète de type 2, 12 semaines de traitement avec u THCV (5 mg deux fois par jour) ont diminué la glycémie à jeun, suggérant potentiellement une amélioration du contrôle de la glycémie. Une autre étude récente portant sur 10 consommateurs de cannabis indique qu'une prise de 10 mg de THCV pendant 5 jours réduit certains des symptômes du THC, ce qui suggère, encore une fois, que le THCV inhibe le récepteur CB1. Toutes ces études chez les humains indiquent que le THCV a été bien toléré par les sujets tout au long des études.
En laboratoire, des études cellulaires ont montré que le THCV diminue l'inflammation des macrophages de souris par le biais du récepteur CB2. Le THCV réduit également la constriction induite par l'inflammation des voies respiratoires du cobaye, l'inflammation et la douleur inflammatoirechez la souris, et l'inflammation et les dommages au foie causés par la privation d'oxygène (également par le biais du CB2). Dans les cellules de la peau humaine, le THCV diminue la formation de graisse, sa prolifération et les inflammations qu'elle entraîne et les auteurs ont suggéré que le THCV pouvait être un agent anti-acné potentiel. Le THCV diminue également la contractilité de la vessie chez la souris. Chez les rats, le traitement par THCV a eu des effets antipsychotiques en influant sur le récepteur de la sérotonine, ce qui pourraient suggérer un potentiel thérapeutique en matière de schizophrénie. Il a également eu des effets neuroprotecteurs dans un modèle de la maladie de Parkinson, et réduit les convulsions dans une étude sur l'épilepsie. chez le rat. Tout comme le THC, le THCV réduit également les nausées chez les rats.
Lorsqu'on les considère dans leur ensemble, des preuves scientifiques suggèrent qu'un certain nombre de troubles pourraient être traités par THCV, avec un profil d'antagonisme CB1, d'agonisme CB2 et d'agonisme 5HT1A. À l'heure actuelle, des essais chez l'homme suggèrent, qu'aux doses prises, le THCV est sûr et bien toléré, et il peut donc faire l'objet d'essais cliniques plus poussés.
CBDA
L'acide cannabidiol (CBDA) est le précurseur du CBD produit par la plante qui est décarboxylé en CBD avec la chaleur, la lumière et le temps. Les recherches sur le CBDA sont peu nombreuses et la majorité d'entre-elles a porté sur les effets anti-nausées du CBDA. Tout comme le CBD, le CBDA supprime les nausées et les vomissements chez les rats et les musaraignes par le biais du récepteur de la sérotonine (5HT1A), et réduit également la motilité intestinale, ce qui suggère que le CBDA pourrait intervenir dans la régulation des nausées, par exemple chez les patients sous chimiothérapie. Tout comme pour le CBD, il a également été démontré que le CBDA réduit le stress chez les rats, encore une fois en influant sur le récepteur de la sérotonine. D'autres cibles pharmacologiques de la CBDA qui ont été identifiées incluent l'inhibition des enzymes dans le système endocannabinoïde, l'activation du TRPV1 et l'inhibition de la cyclooxygénase (COX).
Lors d'expériences menées sur des cellules cancéreuses, certaines études ont identifié un effet antitumoral du CBDA ; le CBDA réduit la croissance des cellules cancéreuses du sein chez l'humain et l'inhibition de la COX-1 par le CBDA a également démontré la capacité d'augmenter la production de prostaglandine dans les cellules cancéreuses du côlon chez l'homme. Toutefois, une autre étude portant sur les effets du CBDA sur une gamme de lignées de cellules cancéreuses n'a pas permis de constater que la CBDA affectait la croissance des cellules cancéreuses. Il semble donc qu'il faille poursuivre les travaux pour établir les effets anticancéreux potentiels de ce nouveau phytocannabinoïde.
Cannabidivarine (CBDV)
Si l'utilisation clinique du CBD dans l'épilepsie est bien connue, il existe également des preuves qui suggèrent que la CBDV, un homologue du CBD, est également un agent antiépileptique. Cela a été démontré par des études cellulaires et dans des modèles animaux, qui ont conduit au lancement de la recherche humaine dans ce domaine. Un petit essai clinique a été réalisé (bien que les résultats n'aient pas encore été communiqués) sur l'innocuité et la tolérabilité de la CBDV (connue sous le nom de médicament GWP42006) dans le domaine de l'épilepsie. Il existe un essai de suivi enregistré chez clinicaltrails.gov recrutant des patients pour examiner les effets antiépileptiques potentiels de la CBDV chez les adultes (ClinicalTrials.gov Identifier:NCT02365610). Un autre essai enregistré propose d'examiner l'efficacité et l'innocuité de la CBDV chez les enfants atteints d'un trouble du spectre de l'autisme (ClinicalTrials.gov Identifier: NCT03202303). Les données issues de ces études devraient fournir des preuves de l'efficacité de la CBDV en matière d'épilepsie et d'autisme.
En laboratoire, il a été démontré que la CBDV diminue la formation de graisse et l'inflammation dans les cellules de la peau humaine et il a été suggéré par les auteurs comme un agent anti-acné potentiel. La CBDV diminue la contractilité de la vessie de souris et peut être utile pour les troubles de la vessie. Tout comme le CBD et le CBDA, la CBDV supprime les nausées chez le rat.
Cannabigérol (CBG)
Le CBG est l'un des phytocannabinoïdes les moins abondants qui suscite un intérêt croissant pour ses propriétés pharmacologiques. Comme le THC et le CBD, on le trouve sous la forme d'acide cannabigérolique (CBGA) dans la plante et il est décarboxylé en CBG par la chaleur, la lumière et le temps. Deux études récentes sur des animaux ont montré que le CBG peut augmenter l'appétit chez les rats, suggérant que ce phytocannabinoïde pourrait être utile dans les troubles de l'alimentation et le poids corporel faible. Une autre étude animale a montré que le traitement par CBG pourrait réduire l'inflammation de l'affection abdominale inflammatoire. chez la souris. Le traitement CBG a également amélioré chez le rat la fonction motrice, l'inflammation et le stress oxydatif en cas de maladie de Huntington et on peut dire la même chose d'un composé dérivé de CBG appelé VCE-003.2, qui s'est également montré efficace dans un modèle de sclérose en plaques.
Des études en laboratoire in vitro ont montré que le CBG réduit la prolifération cellulaire et l'inflammation tout en augmentant la formation de graisse dans les cellules de la peau humaine, suggérant un rôle potentiel dans le syndrome de la peau sèche. Le CBG présente également des propriétés antibactériennes vis-à-vis d'un certain nombre de souches bactériennes. Une autre étude a montré que le CBG diminue la contractilité de la vessie chez l'homme et la souris sans que le récepteur CB1 ou CB2 ne soit impliqué.
Un certain nombre d'études cellulaires ont démontré les effets antitumoraux du CBG. Cet effet a été démontré par la capacité du CBG à inhiber la croissance des cellules cancéreuses et à induire la mort programmée des cellules cancéreuses dans le cancer du côlon mais aussi du sein, de la prostate et de l'estomac, et d'une lignée de cellules cancéreuses dans le cancer buccal. chez l'homme. Dans le cancer du côlon, tout au moins, il est possible que cet effet soit dû aux effets anti-inflammatoires du CBG. Une étude in vivo sur des animaux a démontré que le traitement par GBC inhibait la croissance des cellules tumorales dans le cancer du côlon.
L'ensemble de ces études suggère que le CBG possède des propriétés intéressantes et qu'il convient de poursuivre leur étude clinique, soit du CBG seul, soit en association avec d'autres phytocannabinoïdes. Toutefois ce composé n'a pas encore été testé isolément chez l'homme.
Cannabichromène (CBC)
Le CBC est l'un des phytocannabinoïdes qui se forment à partir de l'acide cannabigérolique (comme le THC, le CBD et le CBG). Dans le test dit tétrade, le CBC engendre les quatre signes suggérant une activation du récepteur CB1, mais uniquement à des doses très élevées de 100 mg/kg. En laboratoire, il a été démontré que le CBC diminue la formation de graisse et l'inflammation dans les cellules de la peau humaine. Les auteurs ont donc avancé qu'il pourrait potentiellement servir d'agent anti-acné. Chez la souris, le CBC diminue également l'inflammation des macrophages par le biais du récepteur CB1 (globules blancs) et le traitement CBC diminue l'inflammation et la perméabilité intestinale dans un modèle d'inflammation intestinale. Un effet similaire a été trouvé dans un modèle différent d'inflammation intestinale chez la souris où le traitement par CBC a pu diminuer la motilité intestinale. Chez le rat, le CBC réduit également l'inflammation de la patte dans un modèle de douleur, bien que le CB1 et le CB2 ne soient pas impliqués. Une autre étude chez le rat a montré que le CBC peut diminuer la douleur par l'implication du CB1 et du TRPA. Le CBC manifeste également chez les rats des effets similaires aux antidépresseurs Le CBC augmente la viabilité des cellules souches neurales mais inhibe leur différenciation en astrocytes. Le CBC présente des propriétés antibactériennes contre un certain nombre de souches et antitumorales lors de tests sur diverses lignées cellulaires cancéreuses.
Cannabivarine (CBV), cannabinodiol (CBND), cannabielsion (CBE), cannabicyclol (CBL), cannabitriol (CBT)
À notre connaissance, il n'existe aucune publication sur les effets biologiques du CBV, du CBND, du CBE, du CBL ou du CBT.
Résumé
Parmi les 100 phytochimiques que l'on trouve dans la plante de cannabis, seuls le THCA, THCV, CBDA, CBV, CBG et CBC ont fait l'objet d'études qui démontrent leurs effets biologiques et thérapeutiques potentiels. Parmi ces composants, seuls le THCV et le CBDV ont été testés sur l'homme sous la forme de molécules isolées, respectivement dans le diabète et les troubles métaboliques (THCV) et dans l'épilepsie et l'autisme (CBDV) Grâce à des études sur des animaux et les lignées cellulaires, nous savons que le THCA, le THCV et le CBDA peuvent jouer un rôle dans la réduction des nausées. Le GBC pourrait également stimuler l'appétit. Comme ces composés ne sont pas psychotropes, ils peuvent être préférés au THC, que les patients utilisent souvent contre la nausée et pour stimuler l'appétit en cas de cancer et de VIH. Le THCA, THCV, CBG et CBC ont tous des propriétés anti-inflammatoires dans divers modèles, avec des applications thérapeutiques contre une large gamme de troubles inflammatoires. Le CBDA, CBG et CBC ont des propriétés antitumorales potentielles. Le THCV et le CBG pourraient également avoir des effets protecteurs dans divers troubles neurologiques. De nombreuses recherches supplémentaires sont nécessaires pour traduire certains de ces résultats prometteurs en essais cliniques afin de prouver l'efficacité de ces composés chez l'homme, soit sous la forme de composés uniques soit sous la forme de combinaisons de phytocannabinoïdes.