Par Mariano Garcia de Palau
Né à Barcelone le 17 février 1956, il est diplômé de Médecine et Chirurgie de l'université de Barcelone en 1979. Pendant 38 ans, il travaille comme médecin urgentiste dans le domaine de la médecine du travail. Son intérêt pour le cannabis est apparu par hasard et depuis une quinzaine d'années il se consacre à l'étude de son utilisation thérapeutique.
Actuellement, il continue de conseiller sur les traitements à base de cannabinoïdes et réalise des travaux cliniques avec des patients, collabore avec différentes organisations et associations, travaille comme consultant principal pour Grupo Curativa Colombia et est membre de l'Observatoire Espagnol du Cannabis Médical.
La fibromyalgie est une maladie chronique dont l'étiologie et la cause sont inconnues. Entre autres symptômes, elle se caractérise par une douleur musculo-squelettique chronique généralisée, avec un seuil de douleur bas. Comme cela tend à se produire chez les patients souffrant de douleurs chroniques, on observe souvent une hyperalgésie (sensibilité à la douleur plus grande que prévue pour un stimulus donné) et une allodynie (où des stimuli normalement non douloureux, comme le frottement des vêtements, se révèlent douloureux).
La douleur chronique tend à s'accompagner d'autres symptômes, fondamentalement l'anxiété et la dépression, la fatigue et divers types d'insomnie. Cependant, il peut aussi y avoir de la paresthésie (picotements), des raideurs articulaires, des maux de tête, une sensation de gonflement dans les mains et des problèmes de concentration et de mémoire. L'évolution naturelle de la fibromyalgie est chronique, l'intensité des symptômes fluctuant dans le temps. Certaines phases sont plus faciles à tolérer, avec moins de douleur et une certaine amélioration des autres symptômes. Les variations dépendent parfois de la période de l'année. Dans de nombreux cas, les facteurs émotionnels ont également une influence très notable, tout comme la situation familiale, le niveau socio-économique, etc. Le diagnostic de la fibromyalgie est clinique. Il n'existe aucun test objectif pour la maladie, ni analytique, d'imagerie ou anatomo-pathologique déterminant.
Une enquête récente menée dans plusieurs pays européens a estimé que 10 à 15 % de la population générale souffrent de douleurs musculo-squelettiques chroniques à différents endroits. La plupart des patients présentent des douleurs à la palpation dans différentes zones du corps. Lorsqu'un patient souffre de douleurs généralisées depuis au moins trois mois et qu'une pression modérée lors d'un examen physique déclenche des douleurs dans plus de 11 des 18 points précédemment définis, en plus de présenter des troubles du sommeil, de la fatigue et des altérations cognitives, le consensus est qu'il répond aux critères de la fibromyalgie. C'est le cas pour 2,4 % de la population espagnole, avec une nette prédominance des femmes (4,2 % contre 0,2 % chez les hommes) et un pic de prévalence entre 40 et 49 ans. (Estudio Episer 2016)
Douleur
Le symptôme le plus évident de la fibromyalgie est une douleur musculo-squelettique généralisée. La douleur se manifeste généralement dans plusieurs zones du corps. Cependant, elle peut commencer dans une région, comme le cou et les épaules, puis apparaître après un certain temps dans d'autres régions.
La douleur causée par la fibromyalgie a été décrite de nombreuses façons, comme une sensation de brûlure, accompagnée de raideur ou d'une douleur forte et durable. Parfois, des caractéristiques de la douleur neuropathique sont présentes. La douleur varie souvent en fonction du moment de la journée, du niveau d'activité, du temps, des habitudes de sommeil et de la gestion du stress. De nombreuses personnes atteintes de fibromyalgie disent qu'elles ressentent toujours une certaine douleur, bien qu'intermittente. De nombreux patients font état de douleurs intenses, ce qui rend pratiquement impossible l'exercice de toute activité.
Les zones ou points sensibles associés à la fibromyalgie sont similaires dans leur localisation à ceux que l'on trouve dans d'autres formes de douleurs musculaires et osseuses, telles que l'épicondylite ou le « tennis elbow ».
Les points sensibles qui provoquent le plus souvent des douleurs dans la fibromyalgie sont ce qu'on appelle les « points trigger » (points de déclenchement). Cependant, de nombreuses autres zones des muscles et des tissus mous, telles que les tendons, les fascias et les muscles peuvent également déclencher des douleurs, bien que les patients ne signalent souvent pas de douleurs sur ces points avant d'avoir été correctement auscultés par un professionnel de la santé.
Fatigue et troubles du sommeil
La plupart des personnes atteintes de fibromyalgie souffrent d'un certain niveau de fatigue. Cela peut être la conséquence logique d'un sommeil réparateur insuffisant ; une personne qui ne prend pas suffisamment de repos continu a peu de chances d'avoir une activité physique normale. La fatigue est parfois un problème beaucoup plus grave que la douleur elle-même. Les troubles du sommeil sont également fréquents et de nature différente d'une personne à l'autre. Certains patients ont des problèmes d'endormissement, c'est-à-dire des insomnies. D'autres souffrent d'un sommeil de mauvaise qualité et se réveillent fréquemment pendant la nuit. C'est ce qu'on appelle l'insomnie du milieu de la nuit (MOTN). Il y a aussi des patients qui se réveillent avant l'heure prévue et ne peuvent pas se rendormir (réveil matinal). La fatigue peut aller d'une résistance réduite à l'effort pour certaines activités à l'épuisement et à l'incapacité d'accomplir certaines tâches, y compris celles de la vie quotidienne. Elle peut également varier en fonction du moment de la journée.
Les recherches ont montré que l'interruption de la phase de sommeil profond (ou delta) affecte certaines fonctions très importantes pour l'équilibre fonctionnel du corps humain, comme la production des hormones nécessaires à la restauration du tissu musculaire et les niveaux de substances actives qui contrôlent la façon dont une personne perçoit la douleur. Il est clair que les problèmes de sommeil peuvent exacerber les symptômes de la fibromyalgie, tout en étant l'un de ses principaux symptômes. Il est donc nécessaire de commencer par orienter la réponse thérapeutique sur l'amélioration de cette situation, afin d'améliorer la qualité de vie du patient. La fatigue dont souffrent les personnes atteintes de fibromyalgie peut être liée au syndrome de fatigue chronique et de nombreux patients atteints de fibromyalgie répondent également aux critères de ce diagnostic. D'autres symptômes coïncident avec des troubles somatiques et le syndrome de sensibilité chimique multiple. En effet, ces pathologies sont souvent diagnostiquées en association, FIBROMYALGIE + SYNDROME DE FATIGUE CHRONIQUE + SENSIBILITÉ CHIMIQUE MULTIPLE. Les traiter peut être un véritable défi tant pour le patient que pour les médecins impliqués dans les thérapies mixtes.
Troubles cognitifs
Les sautes d'humeur sont un symptôme courant de la fibromyalgie. Cependant, comme pour toute maladie chronique, les patients peuvent se sentir déprimés lorsqu'ils doivent affronter la douleur et leur humeur peut être affectée lorsque les symptômes ne sont pas correctement contrôlés.
Les patients atteints de fibromyalgie peuvent avoir des difficultés à se concentrer ou à effectuer des tâches cérébrales simples. Ces difficultés vont et viennent, dans de nombreux cas en fonction de l'humeur, du degré de repos et de l'intensité de la douleur. L'anxiété et la dépression peuvent également entraîner des problèmes cognitifs dans les différentes phases de la maladie, en fonction de la stabilité au cours de son évolution. L'apparition de ces problèmes dans les zones cognitives est très variable et, selon l'âge du patient, il peut être difficile de les évaluer objectivement.
Autres symptômes
Les patients souffrant de fibromyalgie ont souvent des maux de tête, notamment à cause de la tension et de la migraine. La fibromyalgie est également associée à des douleurs dans les muscles des mâchoires et de l'articulation temporo-mandibulaire (ATM). Cependant, cela dépend de nombreux facteurs, tels que l'anatomie de la mâchoire et de la structure dentaire. Le bruxisme (grincement excessif des dents ou serrement des mâchoires et glissement ou frottement des dents) est également fréquent.
Les douleurs d'estomac dans la zone épigastrique, le gonflement abdominal et la constipation alternant avec la diarrhée (qui pourrait être incluse dans le syndrome du côlon irritable) sont également des symptômes très courants. L'irritabilité et les spasmes de la vessie peuvent amener le patient à uriner plus fréquemment ou à ressentir un besoin pressant d'uriner. Les patients peuvent également ressentir des douleurs pelviennes aiguës. Parmi les problèmes qui peuvent être liés à la fibromyalgie, citons les étourdissements ou une sensation d'instabilité, le syndrome des jambes sans repos, l'endométriose, les picotements et l'engourdissement des mains et des pieds.
La fibromyalgie est généralement traitée avec des antidépresseurs (par exemple, amitriptyline, duloxétine et fluoxétine), des antiépileptiques (prégabaline) et des analgésiques (paracétamol ou opiacés selon l'intensité de la douleur). Les corticoïdes ne se sont pas avérés très efficaces pour cette affection. Des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) tels que l'ibuprofène, le naproxène, le diclofénac sodique, etc. sont souvent prescrits.
Ces médicaments peuvent être efficaces pour contrôler la douleur, mais les autres symptômes nécessiteront probablement des benzodiazépines pour induire le sommeil et réduire l'anxiété. En d'autres termes, de nombreux médicaments différents doivent agir simultanément. Il est également important de noter que ces médicaments peuvent avoir des effets secondaires à court et moyen terme. Les plus importants sont la surcharge hépatique possible avec des médicaments tels que les AINS ; les problèmes gastriques, la rétention d'eau et l'augmentation de la pression sanguine avec les corticoïdes et les AINS ; et l'hypotension avec les opiacés ainsi que la constipation, les nausées et la possibilité d'accoutumance, la tolérance, etc.
Les cannabinoïdes ne sont pas inoffensifs. Comme nous l'avons mentionné dans un article précédent, ils ont des effets secondaires, dont il faut tenir compte si l'on veut les utiliser correctement.
Cannabinoïdes et fibromyalgie
Les symptômes dont souffrent les patients atteints de fibromyalgie peuvent être traités avec des cannabinoïdes. Les différents symptômes de la maladie peuvent être traités avec des substances de la même famille chimique. Les cannabinoïdes sont traditionnellement indiqués pour traiter la douleur, le THC et le CBD étant essentiellement utilisés dans un rapport de 1/1,
comme le confirment la majorité des études. Si le patient utilise déjà des opiacés, il est important de commencer par de faibles doses et de réduire la consommation d'opiacés dès que les cannabinoïdes commencent à avoir un effet perceptible. Les cannabinoïdes et les opiacés peuvent provoquer une hypotension et il est donc nécessaire de vérifier la tension artérielle.
Il est également important de surveiller une éventuelle constipation causée par les cannabinoïdes. Néanmoins, les opiacés sont beaucoup plus astringents que les cannabinoïdes. Dans les deux cas, le CBD a un effet plus important que le THC.
Le CBD a un effet antioxydant, anxiolytique et antidépresseur et son effet anti-inflammatoire est très utile dans le traitement de la fibromyalgie, qui peut avoir de multiples foyers inflammatoires dans le système musculo-squelettique. Dans la plupart des cas, cet effet anti-inflammatoire est renforcé par l'utilisation du THC. L'effet analgésique est également renforcé par l'utilisation du THC en diverses proportions. Toutefois, il est toujours nécessaire d'éviter en priorité l'effet psychoactif du THC, qui pourrait limiter l'activité du patient. Le THC a également un effet relaxant, qui renforcera l'effet du CBD dans la lutte contre l'insomnie. Tant la quantité que le rapport THC/CBD des doses nocturnes et diurnes peuvent être différents. Finalement, c'est le patient qui déterminera la bonne dose nocturne pour induire le sommeil et les bonnes doses diurnes d'analgésiques, en fonction de l'intensité de la douleur et de la tolérance au traitement, même si, naturellement, toute décision doit être prise avec l'avis de son médecin. Les cannabinoïdes et les opiacés peuvent être utilisés conjointement ; il suffit d'établir la bonne dose pour éviter toute interaction.
Pour le traitement de la douleur, l'effet analgésique du CBD seul n'est pas aussi puissant que lorsque le THC est utilisé en association. Cependant, selon l'intensité de la douleur, cela peut parfois être suffisant. Le CBD a également un effet anti-inflammatoire qui sera utile. Nous recommandons donc d'utiliser un ratio de 1/1 CBD-THC pour le traitement de la douleur, à condition que le patient le tolère bien.
Toutefois, si le patient ne tolère pas bien cette proportion, il faudra commencer par des doses de CBD plus élevées que celles de THC. Il est possible de commencer le traitement avec le CBD seul et d'évaluer ensuite ses effets pour envisager la nécessité de combiner différentes doses de THC pour contrôler la douleur.
La bonne dose doit être calculée en fonction du poids du patient. Il est également important d'exclure toute contre-indication ainsi que toute interaction possible avec des médicaments déjà prescrits. Nous recommandons dès lors que le THC et le CBD soient utilisés dans des proportions différentes pour traiter les patients atteints de fibromyalgie.
Il convient de rappeler qu'une même quantité de THC provenant du cannabis indica ou sativa aura des effets différents, en raison des autres composants de la plante (le cannabis compte environ 400 substances actives par variété).
Nous recommandons l'utilisation du THC du cannabis sativa pendant la journée et du cannabis indica pour la dose de nuit. Dans la plupart des cas, cela fonctionne mieux, bien qu'il y ait toujours des exceptions.
Les cannabinoïdes ne sont pas efficaces pour tous les patients. Dans certains cas, les patients signalent une amélioration partielle des symptômes dès les premières doses. Il est très important de vérifier que les cannabinoïdes agissent correctement, afin de continuer à adapter la dose aux besoins du patient.
S'il est correctement dosé, la plupart des patients atteints de fibromyalgie pour lesquels le cannabis va être utile commencent déjà à remarquer une amélioration des symptômes dès les premières doses, notamment en termes de douleur et d'insomnie.
En résumé, les patients atteints de fibromyalgie peuvent commencer à répondre dès les premiers jours de traitement, certains rapportant même une amélioration après les premières doses.
La surveillance médicale est très importante. Le médecin doit conseiller sur la dose et le rapport THC/CBD dont chaque patient a besoin pour atteindre le potentiel thérapeutique maximal, en évaluant la bonne tolérance au traitement et en éliminant ou en minimisant les effets secondaires éventuels.
La plupart des patients qui vont répondre à un traitement aux cannabinoïdes connaîtront une réponse rapide, avec une amélioration des symptômes pendant les premiers jours de traitement.
Lorsque cela se produit, les attentes en matière de réussite du traitement sont élevées. Cependant, si un patient traité avec la bonne dose ne voit aucune réponse dans une période de 2 à 3 semaines, le traitement ne sera probablement jamais efficace.