Le parcours a été long pour atteindre l'année 2023, mais nous avons appris comment passer d'une relation ancestrale avec le chanvre (Cannabis sativa L.), à une science documentée et articulée.
Depuis que les premiers cannabinoïdes ont été isolés dans les années 40, (1) les progrès ont été lents et réguliers.
La structure du THC et celle du CBD ont tout d'abord été identifiées dans les années 70 (2)(3)(4), suivie par la découverte et la codification du système endocannabinoïde à la fin des années 80, avant un perfectionnement au début des années 90 (5)(6). De nos jours, nous sommes en train de définitivement fermer la porte sur les années sombres de la prohibition gouvernementale et entrons dans une période de transparence et de connaissance.
Fig.1 Frise chronologique de l'évolution de la compréhension des cannabinoïdes
Il nous est possible aujourd'hui de comprendre en profondeur le système cannabinoïde.
La structure, la distribution et, partiellement, le rôle des récepteurs CB1 et CB2, (7) n'ont plus de secret pour nous et nous pouvons produire et tester un nombre infini de composés capables de les lier et/ou les activer.
Les cannabinoïdes synthétiques et les composés cannabimimétiques ont été extensivement testés aux 15 dernières années et leur toxicité révélée à travers le monde.(8)
On se souviendra des cas de « Spice » et de « K2 » : des mélanges d'origine végétale commercialisés en Europe et aux États-Unis à la fin des années 2000. La mixture trouvée dans Spice, dont le Cannabis Sativa L. ne faisait pas partie, était dopée par une vaste gamme de composés synthétiques comme le CP 47,497, le HU-210 et le JWH-018.
Fig.2 Certains des composés psychoactifs isolés dans Spice et d'autres mélanges végétaux synthétiques
Ces composés, aux qualités plus puissantes que celles du THC, peuvent entraîner des effets psychédéliques à long terme. La consommation de mélanges similaires au Spice génère de mauvaises accoutumances, pires que les inconvénients communs au THC, avec des problèmes persistants au niveau psychiatrique et nerveux. (9)
C'est pourquoi, entre 2009 et 2012, la plupart des pays européens et les États-Unis ont adopté des lois pour limiter ou interdire les cannabinoïdes synthétiques et les mélanges comme le Spice n'apparaissent plus que sur les marchés numériques.
L'interdiction de Spice a mis au premier plan une faiblesse au niveau du système international : il est possible de bannir un à un les cannabinoïdes , mais il est pratiquement impossible de généraliser leurs structures (il existe au moins 5 groupes de composés cannabimimétiques) et d'empêcher la synthèse de nouveaux composés qui interagissent avec le CB1 et CB2.
Les marchés ont alors continué à évoluer mais, en 2022, la situation est revenue au point de départ.
QU'EST-CE QUE LE HHC?
Le HHC-hexahydrocannabinol est un rare phytocannabinoïde, isolé et caractérisé lors des premières études effectuées dans les années 40 (1).
En plus du travail d'extraction et de concentration du HHC des extraits de cannabinoïdes, le HHC est le résultat de l'hydrogénation directe d'isomères du THC (Δ8-Δ9-Δ10) qui convergent en un composé racémique unique.
La différence entre le HHC et le THC est minimale en termes de formulation de base, mais l'ajout d'une molécule d'hydrogène (à 2 atomes) supprime l'insaturation sur le noyau secondaire, ce qui permet une structure plus flexible.
Fig.3 Le HHC et certains dérivatifs communs comparés avec le THCA
L'hydrogénation en elle-même a été codée dans de nombreux brevets et articles (10)(11) et se base sur les propriétés de catalyse des métaux riches en électrons, capables d'ajouts et d'éliminations par oxydoréduction réversibles (Red-Ox).
Dans les conditions propices, les composés de Ni, Pt, Pd, etc., peuvent casser la liaison H-H de la molécule de dihydrogène (par addition oxidative), se lier au substrat (dans notre cas, un isomère du THC), transférer les atomes d'hydrogènes sur le substrat de liaison et se détacher par élimination réductive.
Selon la pureté du mélange réactif (en imaginant un mélange isomères du THC) et la sélection du catalyseur spécifique (PtO2 et Pt/C), la réaction se produit, générant proprement un mélange racémique d'énantiomères : HHC 9R et 9S.
Le HHC-9R et le HHC-9S partagent exactement la même structure de base, sauf en ce qui concerne l'orientation 3D (conformation) d'un groupe méthyle sur le noyau secondaire.
L'absence de la double liaison typique au THC accroit la stabilité du HHC envers les UV et les réactions oxydatives, augmentant ainsi la période de conservation et permettant des traitements de purification plus agressifs.
Des échantillons labellés HHC, analysés à travers le monde, ont révélé contenir non seulement des énantiomères d'HHC mais aussi quelques dérivatifs de ce dernier et des alternatifs comme de l'acide hexahydrocannabinol HHCA (similaire au THCA pour le THC), de l'acétate hexahydrocannabinol HHCO (similaire au THCO pour le THC) et d'autres composés qui diffèrent suivant la longueur de la chaîne alkylique au niveau du noyau aromatique central, comme l'hexahydrocannabiphorol HHCP(avec une chaîne alkylique à 7 membres au lieu de 5).
LE HHC ET LE SYSTÈME ENDOCANNABINOÏDE
Comme il est possible de le déduire des chapitres précédents, le HHC peut interagir avec les récepteurs Cb1 et Cb2 et générer des effets psychoactifs comme ceux créés par le Δ9-THC.
Si on prend le chiffre 1 pour correspondre aux effets du Δ9-THC, nous pouvons dire que le HHC-9R contient trois quarts (3/4) de l'activité du Δ9-THC (le HHC-9S étant le moins actif), le Δ8-THC en possède la moitié (1/2) et le CBN, un dixième (1/10).
Fig.4 Effets psychoactifs relatifs causés par les cannabinoïdes communs
Le phénomène HHC a attiré l'attention du monde scientifique sur les cannabinoïdes synthétiques.
La poussée du développement des études autour des structures similaires au HHC a nécessité l'obtention d'une réponse rapide de la part des institutions internationales, atteignant son point culminant avec un rapport publié par l'Union européenne (13) (https://www.emcdda.europa.eu/publications/technical-reports/hhc-and-related-substances_en).
Dans ce texte, la commission déconseille la commercialisation du HHC sur le marché libre et recommande des examens pharmacologiques de ses propriétés médicales.
Les derniers compte-rendus (12) révèlent de nombreux résultats prometteurs : Le HHC passe actuellement par les mêmes tests qui ont officialisé les propriétés du CBD et du THC.
Ceux-ci révèlent que l'action du HHC est plus proche du THC que du CBD, y compris pour son pouvoir anti-tumoral et ses propriétés analgésiques.
Inversement, il est également souligné que le HHC présente plusieurs effets nocifs (9), combinant ceux associés aux phytocannabinoïdes et aux synthétiques :
- Anxiété
- Somnolence
- Bouche sèche
- Augmentation de l'appétit
- Peur
- Accélération du battement cardiaque
- Yeux rouges
Et d'autres encore plus sévères, correspondant à la prise abusive de cannabinoïdes en général, comme :
- AVC
- Crise d'épilepsie
- Crise cardiaque
- Dégénérescence des tissus musculaires
- Lésion rénale
- Psychose
- Vomissement sévère
LE HHC ET LE MARCHÉ
Le pic de sensibilisation récent aux cannabinoïdes n'a pas entrainé de réponse prudente chez les producteurs et revendeurs qui ont envahi le marché avec une pléthore de produits HHC, HHCO et HHCP.
Le HHC reste légal dans la majorité des pays, même là où des règles contraignent l'utilisation du THC et du CBD.
En Europe, le HHC n'est pas programmé pour apparaitre sur la « liste verte » de l'Union européenne (List of Psychotropic Substances Under International Control) [Liste des substances psychotropes sous contrôle international] mais, depuis 2023, le HHC est officiellement sous la surveillance de l'Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT) qui promet une régulation imminente.
Aux États-Unis, la capacité légale du HHC et d'autres cannabinoïdes, y compris le Δ8-THC, n'est pas clairement établie.
De nombreux fournisseurs soutiennent que ce produit est autorisé car provenant de source naturelle et qu'aucune règlementation ne l'interdit.
En réalité, la quantité d'HHC extraite naturellement n'est pas commercialisable, car trop rare, mais son apparence naturelle incite les producteurs à le dériver à partir d'autres phytocannabinoïdes comme le CBD et le THC via un traitement de semi-synthèse (le HHC entièrement synthétique étant toujours interdit).
Durant nos recherches pour cet article, nous avons rencontré toutes sortes d'allégations infondées sur le HHC, la plupart se révélant être de simples transcriptions des propriétés d'autres cannabinoïdes tandis que d'autres étaient carrément étranges. L'une d'entre elles nous a alarmé car elle soutenait, sans aucune preuve, que la consommation de HHC ne devrait pas apparaitre positive dans les contrôles antidopages, introduisant un danger possible à la santé publique.
Rendus sceptiques par cet argument, nous voulons répéter que la seule façon de garantir le résultat négatif d'un contrôle antidopage est d'éviter totalement l'usage des cannabinoïdes. De plus, même une consommation responsable de tout type de cannabinoïde est loin de présenter un sans risque (ou une absence de contrôle).
L'HISTOIRE SE RÉPÈTE
Après de nombreuses années de surveillance des marchés légaux et illégaux européens, nous ne pouvons vraiment pas promouvoir le HHC comme une alternative réaliste aussi bien au CBD qu'au THC dans les pays qui en interdisent leurs usages récréatifs. Les données sont encore rares et le risque d'effets nocifs évident.
Similairement à ce qui s'est passé pour la génération précédente des cannabinoïdes synthétiques, l'Union européenne va bientôt se prononcer sur le sujet et nous nous attendons à l'apparition d'une réglementation incisive sur le HHC, ses dérivés et tout autre composé cannabimimétique émergent, comme le THCP et le CBDP ou le THCB et le CBDB (dont la chaîne alkylique comporte 7 et 4 membres au lieu de 5).
Cette entrave imminente ne stoppera pas l'intérêt légitime des milieux pharmacologiques et vétérinaires envers cette classe de composés, dont la croissance est incroyablement rapide.
Les cannabinoïdes synthétiques et semi-synthétiques sont bien plus contrôlables (lorsque synthétisés et non cultivés) que le THC et le CBD qu'ils sont destinés à remplacer et surpasser.
BIBLIOGRAPHIE :
1. US 2419937, Adams R, "Marihuana active compounds", issued 6 May 1947.
2. Burstein S. Review. Cannabidiol (CBD) and its analogs: a review of their effects on inflammation. Bioorg Med Chem. 2015;23:1377–1385.
3. Mechoulam R, Gaoni Y. A total synthesis of dl-Δ1-tetrahydrocannabinol, the active constituent of hashish. J Am Chem Soc. 1965;87:3273–3275.
4. Pertwee RG. Cannabinoid pharmacology: the first 66 years. Br J Pharmacol. 2006;147:S163–S171.
5. Devane WA, Dysarz FA 3rd, Johnson MR, Melvin LS, Howlett AC. Determination and characterization of a cannabinoid receptor in rat brain. Mol Pharmacol. 1988 Nov;34(5):605-13. PMID: 2848184.
6. Devane WA, Hanus L, Breuer A, Pertwee RG, Stevenson LA, Griffin G, Gibson D, Mandelbaum A, Etinger A, Mechoulam R. Isolation and structure of a brain constituent that binds to the cannabinoid receptor. Science. 1992 Dec 18;258(5090):1946-9. doi: 10.1126/science.1470919. PMID: 1470919.
7. https://www.fundacion-canna.es/sistema-endocannabinoide
8. https://www.fundacion-canna.es/cannabinoides-sinteticos
9. Spaderna M, Addy PH, D'Souza DC. Spicing things up: synthetic cannabinoids. Psychopharmacology (Berl). 2013 Aug;228(4):525-40. doi: 10.1007/s00213-013-3188-4. Epub 2013 Jul 9. PMID: 23836028; PMCID: PMC3799955.
10. US 9694040B2, Scialdone MA, "Hydrogenation of cannabis oil", registrada el 10 de noviembre de 2016, asignada a Research Grow Labs.
11. US 10071127B2, Scialdone MA, "Hydrogenation of cannabis oil", registrada el 21 de septiembre de 2017, asignada a Research Grow Labs.
12. Ujváry, I. Hexahydrocannabinol and closely related semi-synthetic cannabinoids: A comprehensive review. Drug Test Anal. 2023; 1- 35. doi:10.1002/dta.3519
13. https://www.emcdda.europa.eu/publications/technical-reports/hhc-and-related-substances_en